L’épidémie du covid-19 et les conséquences sur le système éducatif haïtien

Les considérations sur la crise dans une crise

La crise sanitaire qui secoue le monde avec la propagation du coronavirus dénommé aussi covid-19 a commencé en Chine en décembre 2019. Les pays atteints en Europe à la fin du mois de février 2020 sont notamment la France, l’Italie, l’Espagne, pour ne citer que ceux-là. Les ténors de l’Amérique du Nord dont le Canada et les États-Unis d’Amérique viennent ensuite s’inscrire dans la liste des pays atteints.  Les premières personnes testées positives au covid-19 en Haïti sont dévoilées le 19 mars 2020 par le gouvernement haïtien. Comme les autres pays, le confinement a été adopté comme première mesure de l’entrée directe en phase 2. Les écoles rentrent dans la liste des premiers grands lieux de rassemblement de personnes à être touchés par une interdiction de fonctionnement. Les églises, les marchés publics, le transport en commun ont été informées ultérieurement des conditions de fonctionnement à respecter. Depuis, tout est fonction des consignes strictes empêchant l’expansion de l’épidémie.

La crainte de contamination pousse les entreprises du secteur hôtelier et celui de la restauration à fermer leurs portes. Cette décision semble parfois s’expliquer par une nécessité de réduire la masse salariale dans un contexte de fermeture des frontières pour un pays où l’insécurité contribue depuis plus d’une dizaine d’années à une baisse de l’activité touristique. Les grands laboratoires de recherche scientifique, les groupes pharmaceutiques et autres secteurs concernés injectent des millions dans la recherche d’un vaccin ou d’un remède pouvant soulager tous les résidents de la planète et permettre à la vie normale de refaire surface. En l’absence de remède, l’urgence consiste aux États du monde de se doter les matériels sanitaires identifiés comme efficaces pour sauver des vies et contenir l’augmentation du nombre des personnes infectées. Le virus a frappé aux portes des plus grosses puissances économiques et militaires de la planète qui, manifestement, ne pouvaient pas se préparer à un tel décor.

Les modalités synchrones d’enseignement laissent la place à l’utilisation des nouvelles technologies dans les pays dits du Nord. C’est justement cette modalité qui renforce la fracture nord-sud entre pays pauvres et pays riches. En effet, le développement de l’enseignement et/ou de la formation à distance fait des exigences aux États non seulement au niveau des infrastructures mais également au niveau de la planification. Une très faible part de toute la population haïtienne peut accéder à l’internet, aux matériels informatiques (tablettes, ordinateurs, imprimantes), à l’énergie électrique. L’étude Haïti : Enquête Mortalité, Morbidité et Utilisation des Services (EMMUS-VI) conduite en 2016-2017 par l’Institut Haïtien de l’Enfance rapporte que sur 13405 ménages enquêtés avec succès, 41% disposent de l’électricité au niveau national. L’étude souligne « l’écart entre milieux de résidence est important : 17% en milieu rural contre 76% en milieu urbain ». Tous ces éléments se combinent avec pouvoir d’achat et une bonne planification de l’éducation pour que l’impossibilité de contacts physiques des personnes ne représente pas un obstacle à la continuité de l’enseignement et de la formation.

Les indicateurs socio-économiques étant connus, la première interrogation peut ainsi se formuler : que faut-il espérer de l’enseignement et de la formation en Haïti pendant et après le covid-19 ? D’autres interrogations peuvent suivre le même état d’esprit :

  1. Quelles sont les conséquences de la pandémie sur le système éducatif en Haïti ?
  2. Est-ce que Haïti réunit les conditions pour développer à distance et en urgence ce qui se faisait en présentiel avec beaucoup de peine dans l’enseignement de base, dans l’enseignement supérieur ainsi que la formation technique et professionnelle ?

Cette crise sanitaire qui secoue le monde entier représente une opportunité pour transformer le système éducatif haïtien. Cette crise doit se solder par des conséquences positives pour Haïti. Haïti ne doit pas laisser passer cette chance qui lui est offerte par la crise du covid-19 pour redresser l’enseignement de base, l’enseignement supérieur, la formation technique et professionnelle et la recherche scientifique. Déjà, l’enseignement supérieur appartient à un cadre institutionnel défaillant et de multiples interventions[1] n’ont pas réussi à le redresser.

Les premières interventions des acteurs politiques concernant le devenir du système éducatif haïtien ont été remarquées presqu’uniquement l’enseignement de base. Les réflexions et les stratégies qui s’en sont suivies et présentées portent leur dévolu sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC). Le MENFP propose d’utiliser les médias pour que les cours se donnent à la radio et à la télévision. Des voix se sont rapidement élevées un peu partout pour dénoncer l’élargissement du fossé des inégalités scolaires liées aux inégalités socioéconomiques parce que seuls les établissements huppés de la capitale haïtienne et de quelques villes de province pourront faire un usage plus ou moins adapté des TIC en fonction de leur clientèle. Les zones les plus reculées sur le plan géographique ne pourront pas bénéficier de ces modules développés à la radio et à la télévision car l’accès à l’électricité et à une connexion internet de débit plus ou moins acceptable représente encore un luxe en Haïti. Non seulement il est difficile d’avoir accès à l’électricité à la capitale haïtienne, mais en plus les installations électriques sont absentes dans la majorité des communes haïtiennes. Même les chefs-lieux des départements obtiennent à peine 2 heures d’électricité par jour.

Le numérique dans le secteur éducatif ne représente ni une alternative ni une solution miracle

Le développement d’une plateforme de ressources éducatives et d’apprentissage numérique constitue la première solution prônée par le MENFP pour que les élèves continuent à se former pendant le confinement. Le dispositif, quoique pertinent, risque d’atteindre environ 10% de la population ciblée. De plus, quand on renvoie les enseignants chez eux et que les cours se donnent à travers une plateforme éducative, il faudrait des mécanismes d’accompagnement des corps professoraux qui peuvent ne pas être intégrés dans le dispositif. Est-ce que cela signifie que dès que les contenus sont construits et que les élèves peuvent en prendre connaissance on peut se passer de la présence des enseignants ? N’est-ce pas un affront flagrant à toutes les méga-analyses présentant le facteur enseignant comme l’un des facteurs les plus importants parmi ceux agissant sur le rendement scolaire ? Disons de préférence que le but consiste à faire face à la situation et ne pas subir de plein fouet les conséquences néfastes de l’épidémie. Faudrait-il attendre d’avoir un confinement pour ordonner la mise en application d’un dispositif jamais expérimenté auparavant pour une meilleure identification des forces, des faiblesses et des résultats sur lesquels il est possible de capitaliser ? Je maintiens que les technologies et/ou les autres alternatives à une école en présentiel ne peuvent s’opérationnaliser ponctuellement en moment de crise. Le numérique n’est pas une solution qui sauve dans un contexte de crise. Le numérique complète le présentiel et doit rendre la tâche plus facile pour un meilleur enseignement et pour un meilleur apprentissage. Je ne comprends pas comment on peut imposer aussi facilement une plate-forme numérique jamais expérimentée auparavant à une population d’élèves et d’enseignants sans grande connaissance de ce dispositif. Il faut avoir fait l’expérimentation du numérique en amont, hors période de crise, pour mieux lister les résultats qu’il est possible d’avoir en matière d’optimisation du rapport enseignement-apprentissage. En d’autres termes, l’éducation en Haïti n’a jamais bénéficié de solides réflexions des décideurs. Bien sûr, si on réduit l’expression fonctionnement de l’école à présence des élèves et enseignant en salle de classe. Derrière cette proposition se cache une connaissance incomplète des bienfaits du numérique. La possibilité de faire usage d’une plateforme numérique évite de rompre les liens entre l’élève et l’école dans un contexte d’impossibilité de déplacement physique. Les obstacles humains inhérents à une modalité de formation en présentiel devraient pouvoir être contenus par l’existence et l’usage des plateformes numériques. De plus, Haïti représente un pays en proie non seulement à des troubles politiques qui s’acharnent en premier lieu sur l’école mais encore à des périodes cycloniques de grande ampleur pouvant occasionner la fermeture des écoles pendant longtemps. Il faudrait également tenir compte du positionnement de ce bout de terre sur la faille Atlantique en activité et qui a déjà inscrit dans l’Histoire de ce pays de puissants séismes. La vulnérabilité du pays à tous les niveaux justifie l’encouragement de solides réflexions surtout en matière d’éducation et l’utilisation de la plateforme numérique. Semble-t-il que peu de gens bien placés dans les hautes sphères décisionnelles le comprennent de cette manière. Les réflexions patriotiquement correctes peuvent aboutir à la conclusion que l’école haïtienne a toujours représenté une priorité de moindre valeur de nos gouvernements depuis la Déclaration de l’Indépendance en 1804. On ne peut plus se cacher derrière la réalité des conditions non réunies pour utiliser le numérique à grande échelle. L’éducation doit être une priorité de l’État qui se manifeste en premier lieu dans la part qui lui est accordée dans le budget national.

L’utilisation de la télévision nationale et de la radio éducative ne sont pas une issue à la crise qui frappe le système éducatif. De plus, ces dispositifs ne doivent pas être utilisés comme porte de sortie uniquement. Ils doivent faire partie intégrante des dispositifs conçus dans le système et non une solution miracle. N’est-ce pas l’utilisation ponctuelle de tels dispositifs qui traduit que l’éducation n’a pas besoin d’un budget répondant aux besoins réels du système ? Les résultats du baccalauréat et des examens de 9ème AF sont, entre autres, de puissants indicateurs qui montrent que quelque chose ne va pas. Ils signifient clairement que beaucoup d’élèves vont à l’école en Haïti mais qu’ils n’apprennent pas. Ils traduisent également que des enseignants sont payés dans les écoles publiques et non-publiques mais que la majorité n’enseignent rien et/ou n’enseignent pas. Hormis une bonne planification, de lourds investissements dans les infrastructures pour accueillir une bonne utilisation du matériel numérique, l’enseignement à distance fait d’autres exigences dont on ne parle pas. Est-ce par méconnaissance ou pour masquer la vraie réalité derrière ce besoin d’agir dans le mauvais sens ? L’enseignement à distance requiert du soutien familial, des outils, des enseignants disponibles et dotés de compétences technologiques. Il demande également pour les élèves et les enseignants un environnement adapté. Qui vise-t-on à former effectivement avec une plateforme numérique avec les conditions quotidiennes d’évolution des familles haïtiennes ? Pourquoi le thermomètre éducatif affiche une température supérieure à 37oC et le médecin dit que le système n’a pas de fièvre et qu’il n’y a pas d’infection ? On ne peut plus continuer à fonctionner de cette manière. Il est temps que les décideurs de tous les domaines de la vie nationale comprennent que l’éducation représente cet antidote contre le virus couronné et anobli qui attaque toutes les cellules fonctionnelles d’Haïti.

Haïti a raté l’occasion avec le séisme du 12 janvier 2010 pour recoudre avec de bons fils et un bon tissu son système éducatif. L’occasion offerte par la pandémie du covid-19 ne doit pas être encore synonyme d’échec ou de coups manqués. La fragilisation de cette année scolaire avec les troubles politiques du « pays lock » ne doit pas être renforcée dans le conformisme de l’application des normes actuelles du MENFP dont la pertinence est remise en question depuis longtemps. Faire de l’épidémie un atout pour réfléchir dans le bon sens signifie implicitement que le passage de l’épidémie doit laisser des conséquences positives pour le système éducatif haïtien. Les discours d’exégètes pragmatiques se confortent dans l’idée qu’il ne faut pas fermer les portes de l’école pour penser à des pistes d’innovation. Heureusement, la pandémie nous oblige au confinement. Il est impossible pendant le confirment de tester tous les outils pour améliorer un quelconque dispositif dans le système éducatif. En revanche, l’occasion est offerte pour réfléchir et décider de que sera le système éducatif haïtien après le covid-19.

Les conséquences positives de la pandémie

La pandémie du covid-19 n’aura pas que des conséquences sur l’école haïtienne. Le confinement oblige certains secteurs-clés comme l’hôtellerie, la restauration, la mode, entre autres à une baisse sinon une absence d’activités. La perte des emplois se manifeste dans presque tous les secteurs. Malheureusement, le télétravail est réservé à des activités spécifiques et toutes les catégories de salariés d’une même entreprise ne sont pas concernées. Plus de 60% des actifs occupés en Haïti évoluent dans le secteur non formel de l’économie. Les conséquences sur l’économie seront énormes au niveau planétaire quand le covid-19 ne sera mentionné qu’au passé dans les écrits. Le temps n’attend pas. La préparation et la planification représentent deux puissants indicateurs de l’intelligence situationnelle des dirigeants face à ce fléau. S’il faut rester dans l’éducation, quel rôle a été donné au système éducatif haïtien par les metteurs en scène du scénario de la croissance économique ?  L’éducation ne peut pas détenir le rôle d’élément neutre dans l’équation de la croissance économique. De plus, les interventions du MENFP marquent encore leur compréhension incomplète du rôle de l’éducation ou du moins de l’enseignement supérieur dans la croissance économique. En effet, les différentes stratégies de sauver l’année scolaire visent à agir au niveau de l’éducation de base. Alors que des théoriciens de l’Éducation et la Croissance comme Elie Cohen ou Philippe Aghion expliquent que les investissements dans l’enseignement supérieur sont de taille à participer à la croissance économique. Je ne suis pas en train d’énumérer les écoles fondamentales et secondaires dans la liste des institutions sans importance. Mais, qu’est-ce qui se planifie pour l’enseignement supérieur et la recherche scientifique ? Faut-il toujours parler d’envoyer les enfants à l’école sans pour autant se concentrer sur le curriculum de la formation des enseignants ? Qu’en est-il des phénomènes sociaux liés à l’éducation et à l’enseignement : Le décrochage scolaire ? Le phénomène des élèves sur-âgés ? L’évaluation à l’école ? Le rendement scolaire ? La monoparentalité des familles ? La question du genre et l’équité femme-homme ? La figure de l’autorité à l’école ? La liste serait vraiment trop longue et il ne s’agit pas de problèmes qu’il faut aborder avec des circulaires ministérielles et/ou des décrets publiés dans Le Moniteur. Ce sont des problématiques que la recherche scientifique doit aborder pour des propositions qui tiennent compte de la réalité du pays. Donner à la recherche scientifique le vrai rôle qu’elle doit jouer rentre dans la droite ligne de faire de la pandémie une occasion pour réfléchir et agir concrètement sur les points-clés devenus éternels oubliés du système.

Je me garde d’indexer servilement un semblant du manque d’intérêt du MENFP pour l’enseignement supérieur. Je préfère en faire une preuve que ce sous-système doit faire l’objet d’un ministère qui lui est spécifiquement dédié. Les conséquences positives d’une bonne gestion du covid-19 doit déconfiner moralement et intellectuellement le chercheur haïtien. La responsabilité et l’intelligence de ce dernier s’évaluent dans le degré de quarantaine qu’il s’impose en retournant en Haïti. Malheureusement, il risque de ne jamais en sortir pour rester et c’est ainsi qu’on mesure l’instinct de survie de l’intellectuel haïtien : la quarantaine morale et intellectuelle. L’intelligence voudrait qu’il se taise car tout discours scientifique ou pas dans son domaine vise un ministère, la personne d’un ministre et subséquemment le parti politique au pouvoir. Tout cela parce qu’il n’existe aucune superstructure qui produit des réflexions et qui planifie les actions de régulation des secteurs de la vie nationale en Haïti. C’est toujours la mission d’un ministère. Comment faire du covid-19 une occasion de rupture avec ce schéma organisationnel sous le haut patronage du pouvoir politique ? Je suis d’avis que les grandes décisions politiques liées à une certaine conjoncture et à des phénomènes ponctuels et/ou éphémères doivent être annoncées par un Ministère. En revanche, la mission de réflexion et de planification d’un système doit revenir à un Conseil Supérieur pour que ce système s’inscrive dans la continuité des innovations. Libre à qui le veut de lui donner un nom qui lui semble plus adapté : Think Thank, Commission de régulation, Conseil Spécial, Education Board, Agence Nationale de l’Éducation. En plus d’assurer la continuité des innovations, sa mission doit être de concevoir et d’expérimenter des dispositifs. Ensuite, en faire une évaluation d’impact pour attester de la plus pertinente et de la plus opérationnelle à mobiliser pour faire face à l’inédit. On pourrait penser que d’anciens ministres soient membres de cette structure. L’enseignement supérieur et la recherche scientifique exigent une prise en compte qui s’écarte de toute légèreté si l’on veut construire une banque de solutions et une veille sur chaque domaine évitant de toujours avoir à déclarer l’état d’urgence par manque de stratégies.

  1. L’émergence d’un nouveau décor institutionnalisé

La surcharge de travail tendant à montrer le MENFP comme un petit connaisseur de l’impact de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique dans la croissance économique constitue, entre autres, une raison inattaquable techniquement d’exiger que l’enseignement supérieur soit l’objet d’une attention particulière de la part de l’État haïtien dans ses interactions nécessaires avec la société civile. Malheureusement, Haïti en souffre et en souffrira longtemps. La réalité haïtienne, bien avant la dictature des Duvalier, tend à confirmer que les pratiques sociales de qualification et le poids des carnets d’adresse dans les recrutements à des postes hautement techniques ne permettront jamais l’enseignement supérieur, la recherche scientifique et la formation professionnelle d’évoluer hors de la mouvance terrifiante d’irrespect des standards et de l’effritement des valeurs. Le changement du décor est pour maintenant.

Les élèves de l’enseignement de base en Haïti ont besoin de l’attention des autorités politiques non pas pour l’importance de leur effectif en termes d’élèves et d’enseignants mais pour des raisons liées aux normes sociales concernant l’âge d’entrée dans le système. En termes d’effectifs, l’enseignement de base ne représente pas le plus grand nombre dans le système éducatif haïtien. Les propos du Docteur François sont clairs : l’enfant qui refait la classe est en train d’être classé comme sur-âgé et risque de ne pas être accepté en niveau supérieur dans une école respectant les normes d’entrée. Les indicateurs démographiques et l’absence de socle commun de compétences et de connaissances à chaque niveau justifient cette attention dans un premier temps. Sous aucun prétexte, les élèves ne doivent perdre l’année scolaire soit par redoublement ou décision après évaluation. Dans un second temps, cette attention va de soi s’inscrivant dans une logique de justice envers toutes les familles grosses ou petites bourses à qui les directions d’école ont tout pris. L’État n’a pas les moyens de dédommager les dépenses engagées par toutes les familles haïtiennes qui ont dépensé un gros ou un petit montant pour la scolarité de leurs enfants. L’État haïtien a besoin de faire preuve de réactivité, de bonne médiation et de proactivité. L’après covid-19 ne doit pas déboucher sur une crise sociale avec les parents d’élèves exigeant la restitution du montant des frais scolaires. La réactivité dont l’État doit faire preuve implique le développement d’une écoute active des partenaires sociaux pour éviter les tensions fragilisant le calme dont ce pays a besoin pour attirer des investisseurs étrangers. Pierre Enocque François et Nesmy Manigat ont fait des propositions que je complète avec les idées que ces pages développent : il faut sauver l’année scolaire 2019-2020 et appliquer le passage automatique. Le MENFP ne partira pas de rien. L’érection d’un socle innové de compétences et de connaissances pour chaque niveau d’enseignement s’impose. En revanche, on n’a pas le temps pour aborder dans des débats chronophages les multiples théories sur les inégalités des chances et des places ou sur les impacts positifs ou négatifs des nouvelles technologies. Les conditions doivent être réunies pour un gain de temps.  

Réunir les conditions revient à combler dans les institutions le vide laissé par l’absence de ressources financières, matérielles ainsi que la matière grise nécessaire pour remplir les missions dont elles sont en charge. La vaste littérature développée autour du concept d’institution dans les pensées des tenants de l’approche institutionnaliste permet d’identifier de multiples conceptions pouvant guider le choix des acteurs rationnels. Tout ce qui touche au système éducatif a des incidences sur le marché de l’emploi : l’interaction nécessaire et naturelle. Il importe de considérer l’enseignement supérieur et la recherche scientifique comme des systèmes organisés dont les modalités de régulation seront détenues par des acteurs autres que le MENFP. L’analyse stratégique propose cette marche à suivre que vient conforter l’interaction nécessaire et naturelle entre formation et emploi. Si l’éducation représente une institution dans le sens que lui donnent les penseurs en philosophie de l’éducation, elle ne doit pas seulement être considérée comme une réalité humaine. Elle doit être saisie dans son autonomie, dans sa stabilité et dans sa contrainte. La préexistence de l’éducation aux décideurs dans le cadre d’un mandat explique qu’elle doit continuer d’exister après leur départ. Elle n’a pas qu’une structure organisationnelle puisqu’elle répond à une double composante fonctionnelle et symbolique. En d’autres termes, au-delà du fait que l’État doit définir le profil du citoyen que l’école doit construire, l’acquisition de compétences doit permettre à ce citoyen d’être utile à la société dans laquelle il évolue. Il s’agit d’un nouveau décor institutionnalisé que doit intégrer l’État. Le système éducatif représente un champ extrêmement vaste d’interactions. Le rôle d’un gouvernement consiste à y laisser son empreinte d’innovation et de continuité par capitalisation sur les dispositifs qui y ont été conçus et dont la mesurabilité des résultats est croissante. Je penche pour le rejet du cadre politique en plaidant pour « l’autonomie de l’institution par rapport au pouvoir politique » plaçant l’éducation dans la conception louraldienne de l’institution.

  • Repères pour des actions concrètes et durables

Le socle commun de compétences et de connaissance à la sortie de l’enseignement de base doit être mis à jour. Je préfère dire qu’un avant-goût de socle existe. Ce socle adapté au curriculum et mis à jour constituera la boussole guidant les acteurs individuels et collectifs du système éducatif. L’État représente le seul acteur qui définit le profil du citoyen et ce socle en représente la manifestation. Quelle que soit la durée de fermeture des portes de l’école, l’enseignement ne devrait pas s’arrêter et les inégalités ne devraient pas se renforcer. Aucun obstacle au fonctionnement de l’école ne devrait légitimer une peur des usagers des institutions d’éducation et de formation quant aux compétences et connaissances qui devraient être acquises. Haïti a besoin d’évoluer dans un climat où chaque citoyen connaît une aisance certaine à affronter l’avenir. Les discours de penseurs d’un jour ne doivent plus alimenter les efforts de description d’Haïti et de son système d’éducation et de formation comme un cercle où ceux qui sont lésés sont en supériorité numérique.

La part de 85% qu’occupe le non-public dans le système éducatif haïtien doit être traduite autrement qu’un vain discours de discrédit mobilisant le vocable de « prolifération ». Comment arriver à transformer la double réalité qu’elle implique simplifiée en une seule par carence de réflexion positive ? La défaillance institutionnelle du MENFP est fonction de l’impossibilité de bloquer ce désordre (chaos ?) auquel aucune dimension positive n’a jamais été accordée. Si elle informe clairement que le secteur privé ne demande pas à être convaincu du besoin (ou de la nécessité ?) d’investir dans le secteur éducatif, un renforcement du partenariat public-privé doit faire partie des axes à privilégier. L’objectif ne consiste pas à vainement chercher une diminution de la part du non-public, il importe de le mobiliser dans le nouveau décor pour une meilleure application des nouvelles politiques en matière d’éducation. Je m’interroge encore sur l’impact du non-public sur la transformation de la gouvernance perturbée à laquelle renvoie l’éducation en Haïti. D’aucuns diraient que toute valorisation du non-public conduit à rendre marginal l’État ainsi que les écoles qu’elle coiffe directement. Le contexte actuel de l’éducation en Haïti ne répond pas à un effacement brutal du non-public qui n’a pas pu s’empêcher de combler le vide laissé par l’ingérence des hommes politiques dans un secteur qui devrait concentrer une part importante du budget national.

La réflexion ne s’arrête pas. L’économique, le social, le régalien ne doivent plus être pensés comme avant avec une concentration sur Haïti comme un pays fragile. Le monde est de plus en plus fragilisé et il s’avère de plus en plus important de faire de ce bout de terre un environnement à fuir si on pense à évoluer. Tout penseur, chercheur ou spécialiste s’intéressant à l’éducation et qui adhère à l’idée que le contexte créé par le covid-19 représente une chance à ne pas rater est invité à faire des propositions, à les justifier et à les développer. Je propose des actions concrètes qui s’imposent pour que le covid-19, tout comme le séisme de 2010, ne nous laisse pas avec un goût amer après son passage. Elles seront développées ultérieurement suivant le même esprit de ces quelques lignes.  

  1. Ériger un nouveau curriculum de formation des maîtres incluant la technologie de la formation à distance
  2. Standardiser les pratiques de recrutement dans l’enseignement de base
  3. Développer le registre des maîtres
  4. Normaliser l’octroi du permis d’enseigner
  5. Créer un plan de carrière dans l’enseignement tout en valorisant le métier d’enseignant
  6. Institutionnaliser et innover la formation continue dans le système éducatif
  7. Réviser la durée en nombre d’années de l’enseignement de base
  8. Développer et budgétiser la recherche scientifique
  9. Créer un conseil supérieur à l’Éducation et à la recherche scientifique
  10. Ouvrir un ministère à l’enseignement supérieur et à la recherche scientifique
  11. Développer un espace de dialogue permettant l’implication des différents acteurs dans le processus décisionnel

J’ai toujours maintenu et recommandé l’émergence de ce que les tenants de l’analyse stratégique appellent la création d’un système d’action concret. En l’absence de ce dernier les stratégies des acteurs institutionnels n’obéissent à aucune structuration et ils avancent dans l’ignorance des modes de protection à envisager quand le danger menace l’ensemble des institutions. On eût dit que les acteurs ont envie de préserver leur indépendance ou leur autonomie. Michel Crozier admet que le système d’action concret ne représente pas une entrave à la préservation de l’autonomie, elle y est totalement conservée et respectée. Le système d’action concret se manifeste par un processus de régulation où « les calculs rationnels stratégiques des acteurs se trouvent intégrés en fonction d’un modèle structuré ». La logique d’une vision d’ensemble ne représente nullement un obstacle à l’atteinte pour les acteurs individuels des objectifs propres à la structure dont ils sont les représentants. La régulation est contraignante mais ne détermine pas le comportement des acteurs individuels. Le retour à la norme institutionnelle impose une transformation des modalités de régulation du système éducatif haïtien. De plus, il est socialement pertinent que le mode de régulation renvoyant à la caractérisation d’un système d’action concret ne se manifeste pas uniquement dans les mécanismes d’organisation interne de chaque groupe autonome et institutionnalisé. Il pourrait être fait le pari que le système d’action concret permet de réduire progressivement les inégalités que l’école est capable de générer.


[1] La Loi sur l’enseignement supérieur envoyée au Parlement en 2014 n’a reçu aucune attention des Parlementaires de l’époque.

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