Politique universitaire et accompagnement à distance de la validation des acquis de l’expérience (VAE)

Qu’est qu’une politique universitaire ?

L’expression de politique universitaire sous-entend une prise en compte par les acteurs sociopolitiques et éducatifs du rôle de l’institution universitaire vis-à-vis de la communauté. Le terme « acteurs » s’emploie comme l’équivalent sémantique de « décideurs » et renvoie à tous ceux qui jouent un rôle important dans les plus hautes sphères des processus décisionnels. L’expression « politique universitaire » peut aussi avoir le sens de gestion des actions universitaires, planification et exécution de nouveaux objectifs faisant corps avec tout ce qui concerne l’offre de formation et domaines d’intervention des recherches universitaires. Parallèlement à la philosophie politique qui pose le problème de l’action politique, la politique universitaire devrait viser les actions universitaires. Est-ce toujours le cas? La politique universitaire s’inscrit dans les stratégies de réalisation de l’objectif dans lequel l’université a été fondée. A l’époque médiévale où l’université française a pris naissance elle était déjà vue comme « des lieux où la formation au savoir de haut niveau coïnciderait avec la production même de ce savoir[2]» (Renaut, 2008). La mise en pratique de ce savoir dans les milieux professionnels rentre, non seulement, dans une reproduction de ce savoir mais également permet l’acquisition de nouvelles compétences par les expériences. Ces dernières donnent du sens à la validation des acquis où l’enseignement supérieur met les expériences professionnelles au même niveau que les formations formelles (sur les bancs de l’école) en se constituant comme une voie d’accès au diplôme. Rendre cette voie d’accès envisageable appelle à une implication des acteurs sus-mentionnés. Ce qui signifie un choix de la politique universitaire d’éliminer quelques « enjeux multiples[3]» (Pasquier, 2009) et permettre aux individus de profiter de ce droit individuel de formation.

Nous vivons à l’époque où l’autonomie des universités est de plus en plus réclamée, pas seulement en Haïti en tous cas. En effet, chaque mouvement d’étudiant est vu comme l’influence de quelques groupes qui cherchent intentionnellement à agir dans le dessein de détruire cette noble institution. Toute pénétration des corps de police dans les locaux d’une faculté, le plus souvent des facultés publiques de l’Université d’État d’Haïti, est vue comme un piétinement de l’autonomie. On eût dit que l’autonomie voudrait pouvait se confondre avec un « laisser-faire » ou tout simplement de l’ « impunité » quand la vie et les biens sont entravés. La réalité veut que cette autonomie reste toutefois seulement administrative car la dimension financière est prise en compte par l’État qui fait voter le budget. Cette dépendance financière implique une impossibilité de mettre en place des projets avec un coût budgétaire important sinon une réalisation s’échelonnant sur une période plus longue que celle planifiée avec le risque qu’un abandon peut se présenter avec les changements éventuels des corps politiques. Loin de dire que l’Etat peut choisir de budgétiser les projets rentrant dans sa vision politique, la politique universitaire reflète la vision du système politique en place.  Il s’agit mieux d’une logique de moule que d’une logique d’implantation d’une politique ayant la capacité d’accepter l’innovation au fil de son développement.

Malgré ce modèle de gestion en phase avec une idéologie politique, le concept de politique universitaire s’articule autour de vision, de décisions, d’actions et de stratégies. La vision fait corps avec les objectifs impliquant la mise en place d’un plan d’action dont l’exécution dépend d’une implication professionnelle active[4] (Mias, 1998). Réfléchir sur la politique universitaire dans le cadre du développement de l’accompagnement à distance de la validation des acquis de l’expérience nous amène à penser que ce développement rentre dans une vision de l’université cherchant à atteindre des objectifs précis. Le développement de l’accompagnement à distance de la validation des acquis de l’expérience comporte-t-il une dimension de politique publique ? Quand  on parle de politique universitaire dans le cadre de l’accompagnement à distance de la validation des acquis de l’expérience, de quoi parle-t-on ? Quels sont les acteurs concernés et à quel niveau de responsabilité ?

La VAE ne vise pas les étudiants en formation initiale mais les salariés qui sont en formation continue. Il existe par là un rapport étroit entre l’université et les entreprises. Du moins pour ce qui concerne les diplômes de l’enseignement supérieur. La VAE fait de l’université un pont entre le salarié et son projet professionnel. Ne pouvant pas servir ceux qui n’ont jamais été dans le monde de l’emploi, elle – la VAE – représente l’échelle par laquelle il faut passer pour monter en grade dans l’entreprise ou pour atteindre un projet personnel dans le cadre de sa professionnalisation qui fait suite à son insertion professionnelle. La politique universitaire dans ce contexte particulier d’accompagnement à distance renforce les liens entre l’entreprise et l’individu. Développer l’accompagnement à distance de la VAE consiste à rapprocher les individus d’un processus qui leur est éloigné pour des raisons administratives ou/et légales,  géographiques ou/et financières.

Les raisons administratives ou/et légales de l’accompagnement

Pour avoir droit au congé de formation, le salarié est tenu d’informer le patron un certain temps avant (2 mois dans la législation française). L’irrespect de cette dimension administrative peut entraîner un refus du patron. Ce refus peut aussi se manifester pour des raisons de contrôle des activités de l’entreprise où le salarié ne peut pas s’absenter pour la période demandée. On ne saurait écarter le fait que certaines entreprises ne sont pas concernées légalement par le congé de formation voire une inexistence du droit individuel de la formation, on peut prendre l’exemple de la fonction publique hospitalière française. La distance géographique par rapport à l’organisme certificateur  représente une autre forme de contrainte impliquant des contraintes financières.

Les raisons géographiques et/ou financières

Avec le prolongement de certains territoires sur des zones géographiquement éloignées, les contraintes de déplacements fréquents empêchent à de nombreux citoyens de jouir de leurs droits civils parmi lesquels le droit individuel de la formation. Les organismes certificateurs se diffèrent dans le cadre des diplômes proposés, cette situation pose des difficultés de déplacement pour les individus à la même division géopolitique que l’organisme certificateur.  L’éloignement géographique contraint les individus à se déplacer sur de longues distances si les moyens d’interaction à distance ne sont pas développés par les universités. Le financement des moyens de déplacement sont à la charge du salarié dont les moyens financiers peuvent ne pas être à même de le faire.

À en croire Alain Renaut[5], le rôle de l’université consiste surtout « à mieux répondre à l’esprit du temps » selon la conception des philosophes allemands du XIXème siècle. Pris dans le contexte actuel, on peut se permettre de comprendre l’esprit du temps dans les innovations technologiques avec la place prise par les technologies de l’information et de la communication (TIC) dans le travail et dans les différentes stratégies de développement aux plans humain et professionnel. Pour répondre à l’esprit du temps, les formations offertes par les établissements universitaires doivent « absorber les innovations technologiques, les inventions managériales, les nouveautés organisationnelles, les mouvements financiers stratégiques[6] » (Durand et Filliettaz, 2009). Ce qui nous permet d’affirmer que l’université devrait avoir pour rôle de fournisseuse d’outils technologiques de communication synchrone et asynchrone. Ce dit rôle doit également se manifester dans le recrutement de professionnels de l’accompagnement. Ces derniers participent au développement des différentes modalités de l’accompagnement de la VAE.

Accompagnement et VAE

La VAE admet sans doute un principe qui a toute son importance dans la professionnalisation : les expériences professionnelles, extra-professionnelles et personnelles sont sources d’acquisition de nouvelles compétences sinon de renforcement des compétences acquises par la formation formelle. De ce fait, accompagner en VAE permet à la personne qui a des expériences de décrire les compétences acquises susceptibles d’être réutilisées et renforcées dans un autre champ ou avec des responsabilités plus importantes à un autre niveau.

Le texte[7] de lois appuyant la validation des acquis de l’expérience permet de retrouver des étapes communes telles la recevabilité, l’élaboration et l’entretien avec le jury. Les étapes dictent à l’accompagnateur les stratégies et les outils capables de lui permettre de cheminer avec le candidat. Deux situations peuvent se manifester. Le candidat peut ne pas rencontrer les deux à la fois même si tous les candidats ne les rencontrent pas simultanément :

  • Élaborer le dossier et s’entretenir avec le jury demandent une mise en lien entre le contenu du diplôme et les expériences du candidat. Cette mise en lien ne se fait pas de manière automatique. cette activité est très souvent nouvelle pour certains et donc n’a aucun point commun avec les activités professionnelles de l’individu qui rentre dans la démarche de validation des acquis de l’expérience.
  • Une méconnaissance des codes académiques de l’organisme certificateur peut faire le poids dans la balance lors de la validation proprement dite. Cette méconnaissance conduit à une mésinterprétation des compétences visées par ce diplôme pouvant donner lieu à un rapport et un discours incohérents. Cette incohérence du discours et du rapport peut sans doute conduire à un échec se manifestant par une absence de validation.

La notion de cohérence nous permet de rebondir sur la manière de voir l’accompagnement selon Maela Paul (2009, in Boutinet, ABC de la VAE.) « situer, hiérarchiser, construire de la cohérence, » L’accompagnement devient une stratégie pour le candidat d’éviter de sombrer dans une mise en lien incohérente de ses expériences professionnelles, extra-professionnelles et personnelles avec le contenu du diplôme pour lequel la démarche de validation est entreprise. Dans le même ordre d’idées Maela Paul [8] définit l’accompagnement comme le fait de « contribuer à faire prendre conscience, nommer, s’approprier ce que chacun a appris, donner sens à la diversité des expériences » (Boutinet, 2009, p.48). Cette prise de conscience et cette appropriation ne se faisant pas de manière immédiate, puisqu’il faut faire un choix des éléments spécifiques de cette diversité, permet de comprendre pourquoi il faut quelqu’un qui suit le candidat sur son chemin. Il ne s’agit pas de lui montrer la route mais de faire route avec lui en le faisant « découvrir » d’où l’idée de cheminement (Paul, 2004).

La montée des nouvelles technologies de l’information et de la communication contribue à une incidence certaine sur la plupart des domaines du monde professionnel à un point tel que les réflexions sur l’émergence de nouveaux axes de professionnalisation ne sauraient ne pas s’appuyer sur leur rôle. Facilitant la modernisation et l’innovation, elles aident les universités à « jouer leur rôle dans la formation de conscience authentiquement contemporaines » (Renaut, 2008). Un suivi à distance implique l’utilisation des technologies de l’information et de la communication. Le développement de l’accompagnement à distance de la VAE rejoint cette volonté de faire rentrer les TIC dans cette stratégie de développement humain et professionnel qui est la formation continue dont le dispositif de la validation des acquis de l’expérience représente un élément à ne pas négliger.

L’importance de l’accompagnement à la VAE nous est relatée dans la description de Billett[9] de ce que doit être l’accompagnement au travail. Il précise que cet accompagnement doit se faire par des « collègues plus expérimentés ». Le point commun de ce type d’accompagnement « guidance » avec la VAE  appelle à une implication professionnelle active (Mias, 1998)[10] des acteurs de la politique universitaire. Cet accompagnement rejoint l’objectif de la VAE en partant du principe que « les savoirs professionnels ne reposent pas seulement sur une pratique matériellement attestée mais sur des éléments de conceptualisation invisibles» (p.45)[11]. Cette conceptualisation étant un exercice difficile qui, très souvent, se détache des pratiques professionnelles quotidiennes des candidats, confère une place importante à l’accompagnement pour mener à bien le processus de VAE dans le milieu universitaire. La difficulté de cet effort de conceptualisation attire l’attention du chercheur sur les compétences propres de l’accompagnateur qui, même s’il est un universitaire confirmé, peut rencontrer des difficultés pour ne pas avoir jamais exercé les mêmes activités professionnelles que le candidat qu’il accompagne. Cette distance socioprofessionnelle qui peut se réduire lors des entretiens dans une modalité face-à-face est presque qu’impossible dans l’utilisation des outils de communication synchrone et/ou asynchrone dans un suivi à distance. Un renforcement de l’accompagnement peut réduire cette distance en faisant assister l’accompagnateur-universitaire d’un professionnel du métier du candidat. Cela permettra d’éviter qu’il se retrouve sur deux fronts avec une découverte individuelle dont les résultats aideront au suivi d’un professionnel. Cette découverte individuelle nous dit Stephen Billett (2009) permet « difficilement d’accéder à certaines connaissances ou savoir-faire »[12].

Le développement de l’accompagnement à distance

Dit comme tel,  le développement de l’accompagnement à distance enrichit la réflexion sur une nouvelle voie de l’accompagnement en présentiel, c’est-à-dire une forme d’accompagnement où accompagnateur/accompagné ne se rencontreraient pas que selon la modalité classique du face-à-face. Ce développement s’accompagne d’une mise à disposition des candidats des professionnels et des outils. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication représentent des outils efficaces pouvant faciliter et pérenniser la mise en place de cette modalité. Il importe de réfléchir sur les stratégies de l’humain concourant à ce même objectif de facilitation et de pérennisation. La question professionnelle pouvant intéresser le chercheur animé d’un certain humanisme peut s’énoncer de cette manière : Comment doit se dérouler cette nouvelle forme d’accompagnement pour que les résultats ne soient ni meilleurs ni moins importants que la modalité dite en présentiel ? Nous la ramenons à la question suivante dénuée de toute empathie : que faire pour que la mise en place de cette nouvelle modalité puisse se dérouler de manière efficace et équitable au regard de ce qui peut se faire en présentiel en matière d’accompagnement ? Comment accompagner à distance des individus dont l’accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication est précaire? Cette interrogation rappelle les dures conditions dans lesquelles évoluent les professionnels haïtiens qui, en dépit de leur bonne volonté, se trouvent trop souvent coupés du monde par la faiblesse ou sinon le manque des outils numériques en matière de formation et de suivis en accompagnement.

Le développement de la modalité à distance permet d’accompagner selon une bi-modalité : en présence et à distance. Selon nous, les deux modalités doivent se compléter pour un accompagnement efficace et équitable. Il ne faudrait pas que ceux qui se trouvent dans cette modalité d’accompagnement à distance soient désavantagés par rapport à ceux qui alimentent la chaîne d’accompagnement en mode face-à-face. Ces deux modalités de l’accompagnement peuvent soit se complémenter ou soit se dérouler de manière unique. La complémentarité rentre dans une stratégie de renforcement et d’enrichissement de la modalité en présentiel se faisant ainsi un indicateur d’équité et d’efficacité. Une modalité envisagée uniquement à distance représente une stratégie de la politique universitaire de se rapprocher d’un public contraint par le déplacement ou empêché de poursuivre le suivi en groupe ou individualisé en présentiel. On peut intégrer dans cette liste de contraintes les facteurs suivants :

  • Incompatibilité des emplois du temps pour la planification des rencontres ;
  • Inexistence de congé de formation dans la structure ;
  • Volonté de rentrer dans la démarche sans avertir les hiérarchies de son milieu professionnel ;
  • La distance géographique ;
  • Immobilité due à un handicap physique ou moteur.

En plus du fait de rapprocher le dispositif vers un plus large public, le développement de l’accompagnement à distance de la VAE s’affirme comme une stratégie de respect de la valeur humaniste – que certains diraient républicaine – de l’égalité des chances. S’outiller au plan humain et matériel pour éliminer les distances possibles par l’accompagnement devrait s’affirmer comme l’une des attributions de l’université. Par cela, elle augmenterait les espoirs des individus concernés et représenterait un catalyseur d’ambitions sans lesquelles certaines  mutations sociales ne seraient pas possibles.

Qui peut accompagner un candidat ?

Avec la mise en place de la VAE comme élément du dispositif de la formation continue en France, de nouveaux métiers et entreprises voient le jour. En réalité, cela ne se manifestera aussi facilement et rapidement en Haïti de la même manière. Cependant, il est à espérer d’observer une évolution du marché de travail selon les mêmes principes. Faudrait d’abord que l’étape de l’institutionnalisation de la validation des acquis de l’expérience soit une réalité et non un discours de politiciens et technocrates qui se veulent proactifs. Conseillers et accompagnateurs VAE deviennent une nouvelle catégorie de professionnels œuvrant dans « ce carrefour d’enjeux multiples » (Pasquier, 2009) que représente la démarche de la VAE. La plupart des réflexions portant sur l’accompagnement de la VAE ne donnent pas des repères assez nets pouvant caractériser l’activité qui consiste à accompagner un candidat à la VAE. S’il est vrai qu’on lui attribue une dimension professionnelle mais son caractère « spécifique » (Paul, 2004)[13] en fait une situation assez paradoxale où celui qui se fait accompagner est celui qui dirige la relation d’accompagnement (Le Bouedec et al. 2001). Le profil de l’accompagnateur ne fait l’objet d’aucune convention puisque l’accompagnateur varie sa posture en fonction de son champ disciplinaire, du profil du candidat et de l’étape de la démarche. Il est « tantôt un tiers qui permet au candidat de mettre à distance son activité et son parcours, tantôt un facilitateur qui aide le candidat à activer son expérience[14] » (Gaudin et Guinaudeau, 2009). Dans la grande majorité des cas le personnel accompagnateur se trouve membre du corps pédagogique de l’organisme certificateur. L’avantage de cette situation est que l’accompagnateur qui est un formateur dans le cadre du diplôme pour lequel il accompagne va moins se poser comme expert. On comprend par là qu’il doit éviter d’être ce pour quoi il a été choisi « connaisseur du chemin » en mettant en place la posture maïeutique qui part du présupposé que le candidat est capable de réfléchir mais qu’il a besoin d’un tuteur. Une des stratégies de l’université dans ce cas consiste à mettre au service des candidats des professionnels capables d’aider le candidat à  trouver des liens qu’il ne saurait établir spontanément seul. Cette intégration de la posture d’accompagnateur avec une centration sur la personne permet de réussir le rôle de facilitateur, de catalyseur et aider le candidat à « intellectualiser son vécu » (Paul, 2004) tout en se faisant reconnaître comme professionnel ayant acquis des compétences en lien avec le diplôme visé « d’où l’accomplissement de sa personne[15] » (Pasquier et Le Bouedec, 2001).

Pour progresser dans notre analyse, nous allons envisager l’accompagnement à distance comme un suivi en parallèle à l’accompagnement en présentiel où les rencontres réelles entre les concernés sont quasi inexistantes. Le déroulement d’une démarche complète de VAE à distance rentre dans la réflexion et amène à réfléchir sur ses caractéristiques.

Accompagnement à distance de la VAE

L’accompagnement à distance de la VAE peut se comprendre comme la mise en place de systèmes de communication permettant les interrelations entre les différents acteurs impliqués dans le processus :

  1. Organisme certificateur-candidat
  2. Accompagnateur-candidat
  3. Candidat-candidat

Ces trois catégories d’acteurs développent l’accompagnement selon un triple volet :

1) un accompagnement au positionnement où le bureau ou cellule de validation de l’organisme certificateur se doit d’écouter le candidat et de l’aider dans son choix. Ceci dit, si certains candidats se font accompagner parce qu’ils sont bien avertis, d’autres ne savent pas vraiment s’il faut se faire accompagner ou pas. Nous appelons cette phase accompagnement puisque les candidats se lancent dans la démarche sans la connaitre pour autant. Si certains viennent à la suite d’un bilan de compétences où un professionnel leur demande de faire une démarche VAE, certains ont été renseignés par des proches sur l’existence de ce dispositif.  Cet accompagnement prend la forme d’une orientation où la cellule VAE de l’organisme certificateur aide le candidat au choix du diplôme ayant des liens plus significatifs avec ses expériences. Le potentiel candidat VAE peut tout aussi bien avoir une vision plus large des résultats de sa démarche par une première analyse des liens de ses expériences avec le contenu du diplôme visé. Dans un déroulement à distance de ces activités, des stratégies humaines comme une implication professionnelle active ou l’empathie s’avèrent importantes en plus de la mise en place des moyens de communication.

2) un accompagnement méthodologique et disciplinaire où le candidat apprend la marche à suivre dans le cadre de l’élaboration du dossier de validation tout en ayant une nette compréhension des attentes du jury dans le cadre du diplôme et du champ disciplinaire dans lequel il est inscrit. Certaines recherches-action[16] effectuées dans le cadre de l’accompagnement de la VAE présentent une difficulté des professionnels à rentrer dans la modalité d’accompagnement à distance. S’il faut développer l’accompagnement à distance, il faut que les conditions soient réunies : des contacts fréquents via des modes diversifiés de communication, une ouverture de la démarche d’accompagnement par une rencontre en présentiel, une disponibilité et un travail autonomie non négligeable du candidat. S’il est vrai que les acteurs de la politique universitaire ne peuvent pas fournir aux étudiants l’accès aux outils de communication mais la possibilité de pouvoir rencontrer des professionnels conscients de leurs besoins s’avère primordiale.

3) un accompagnement par les paires avec pour objectif de rendre manifeste la dynamique de groupe en écoutant les actions des autres participant à la même démarche. Cet accompagnement dont le candidat bénéficie de la part d’un autre, à travers un partage d’expériences se révèle d’une grande importance dans la dynamique de groupe. Il sert à renforcer la motivation et l’implication personnelle du candidat dans le cadre du travail en autonomie. Il suppose dans ce contexte un retour d’expériences pouvant éviter le décrochage.

En termes de durée, la législation française fixe l’accompagnement à la VAE pour 24 heures réparties selon un calendrier mis en place par l’accompagnateur en accord avec le candidat. Les 24 heures d’accompagnement sont accordées par le patron dans le cadre du congé individuel de formation. Mais en tenant compte de la réalité des faits est-ce que 24 heures suffisent pour l’intégration des codes académiques et des principes méthodologiques à apprendre pour élaborer le dossier de validation ? Il parait évident que des outils pédagogiques doivent compléter les rencontres virtuelles entre accompagnateur et candidats. Dans un stage professionnel réalisé de janvier à avril 2011 à la cellule de la validation des acquis du service de la formation continue de l’Université de Toulouse2-le-Mirail, nous avons proposé à 26 candidats les outils pédagogiques suivants pour renforcer le suivi méthodologique complètement à distance des candidats à la VAE :

  • frise de la démarche VAE
  • frise de la démarche d’accompagnement
  • fiche de description des expériences
  • un portefeuille de compétences VAE
  • un calendrier de la démarche
  • des diaporamas sonorisés
  • un forum assisté d’un modérateur
  • un réseau de candidats VAE

Après avoir présenté à un petit groupe de candidats ces outils nous avons obtenu les scores suivants :

Les outils Appréciation des candidats
TB (%) B (%) AB (%) PASS (%)
1. frise de la démarche VAE 83.33 16.66 0 0
2. frise du processus d’accompagnement 58.33 41.66 0 0
3. fiche de description des expériences 66.7 25 8.33 0
4. portefeuille de compétences VAE 66.7 16.66 16.66 0
5. calendrier 66.7 16.66 16.66 0
6. diaporamas sonorisés 50 25 0 25
7. forum assisté d’un modérateur 58.33 16.66 25 0
8. réseau numérique candidats VAE 58.33 41.66 0 0

Malgré le manque de profondeur de ces statistiques et malgré le fait que l’échantillon ne soit pas si grand, nous avons compris que le développement des outils pédagogiques pour l’accompagnement méthodologique des candidats avait une grande importance. La politique universitaire a besoin de renforcer l’implication professionnelle des accompagnateurs VAE dans le développement de ces outils. Aussi, est-il important pour l’université de penser aux difficultés auxquelles les candidats peuvent faire face pour bien s’investir dans la démarche. Les difficultés éventuelles une fois listées, l’université peut intercéder par devant les autorités compétentes pour qu’elles prennent leurs responsabilités envers les citoyens en matière de droit individuel de la formation.

Nos différentes observations dans le milieu français nous permettent de réfléchir sur le cas d’Haïti où la validation des acquis de l’expérience se trouve au stade de projet d’institutionnalisation. Notre connaissance du milieu nous permet de poursuivre l’analyse en commençant par la difficulté de parler de politique universitaire.

Politique universitaire, politique de l’enseignement supérieur, ou politique éducative en Haïti : un choix difficile ?

Le concept de politique universitaire en Haïti est très problématique puisqu’il développe une forme d’exclusion vu le faible pourcentage[17] de professionnels issus d’une formation universitaire dans certains secteurs professionnels. Quand on analyse la situation de plus près, l’université n’est qu’un élément du système de l’enseignement supérieur. L’université ne peut à elle seule participer à l’émergence de la validation des acquis de l’expérience ainsi que l’accompagnement dans le cadre de ce processus. Une formation universitaire, malgré son importance dans le développement d’une société, n’est pas un atout d’insertion professionnelle. Cela explique le fait qu’une bonne partie des professionnels haïtiens ne sont pas issus de l’enseignement supérieur de type universitaire. D’aucuns proviennent des écoles de commerce ou des centres techniques de formation professionnelle, d’autres arrivent directement des instituts professionnels dits « instituts universitaires ». On ne peut nier le nombre important de ceux n’ayant à la base aucune formation mais qui se sont formés sur le tas au fil des années d’expériences professionnelles. Bien que sans qualification professionnelle effective et attestée au départ, ils ont pu travailler pendant longtemps jusqu’à l’avènement d’un nouvel ordre dans les entreprises qui passe à la vérification des justificatifs. Les plus « intelligents » recourent à l’usage de faux mais ceux qui veulent garder la tête haute dans l’honnêteté rentrent tranquillement dans de nouvelles stratégies de recherches d’emploi.  Quand on parle de politique universitaire, pense-t-on aux catégories de professionnels n’ayant pas de formation supérieure universitaire ? Existe-t-il un lien entre le fait de devenir un professionnel confirmé dans un métier quelconque et le fait de provenir d’une formation offerte par un établissement d’enseignement supérieur ?

Haïti, selon le rapport[18] de l’OCDE après le séisme du 12 janvier 2010, compte une population de plus de 10 millions d’habitants. Les universités haïtiennes ne comptent pas en tout 50.000[19] étudiants pourtant plus de 100 000 bacheliers sont comptés tous les ans. Pour éviter de faire abstraction de tous les centres de formation professionnelle postsecondaires qui accueillent une bonne partie des bacheliers qui deviennent ensuite les professionnels, nous choisissons de parler de politique de l’enseignement supérieur au lieu de politique universitaire. Le concept de politique de l’enseignement supérieur englobe tout quand il inclut les formations professionnelles mises en place par les universités, les formations offertes par les instituts universitaires ou les centres de formation professionnelle. On en déduit que les professionnels qui sont visés par l’institutionnalisation de la validation des acquis de l’expérience ne seront pas tous directement tournés vers les diplômes délivrés par l’enseignement universitaire mais, pour une bonne part, vers les centres de formation professionnelle. Parler de politique universitaire exclut la catégorie des professionnels n’ayant pas à la base une formation universitaire mais une formation professionnelle non calquée sur le cursus classique de l’université. Pour avoir un discours respectant le sens de l’égalité, c’est-à-dire qui touche tous les professionnels, on doit considérer un ensemble plus important d’acteurs et donc inclure l’université dans un ensemble d’institutions accueillant des détenteurs du diplôme de baccalauréat. En effet, ne faut-il pas éviter de faire de l’université une référence en termes de gestions de toutes pratiques voulant toucher tous les professionnels ? Une politique éducative ne résoudrait-elle pas mieux le problème d’exclusion quand on doit considérer l’universalité des métiers dans le secteur de l’emploi et de la formation en Haïti ?

Peut-on développer un suivi à distance sur le territoire haïtien ? Comment ? Pourquoi ?

Dans les caractéristiques supra-citées de l’accompagnement à distance, les nouvelles technologies de communication synchrone ou asynchrone occupent une place très importante. En suivant la réflexion de White[20] sur « le degré de civilisation de chaque époque » et « son aptitude à utiliser l’énergie pour les progrès et les besoins humains », on serait tenté de dire qu’Haïti se trouve au bas de l’échelle en tenant compte de l’accès aux nouvelles technologies d’une bonne partie de la population. On serait tenté de dire que la grande contrainte dans la mise en place d’un suivi à distance dans n’importe quel objectif pédagogique est la difficulté d’accéder à ces technologies. Cet accès aux NTIC[21] étant faible, comment faire pour éviter que le développement de l’accompagnement à distance de la VAE ne revête pas une dimension élitiste ? Mais s’ajoute à cette difficulté d’accès le problème de l’identification. Comment savoir que la personne qui est au téléphone ou dont le visage apparaît sur l’écran correspond au nom affiché sur le dossier ? Sans pour autant exagérer, il est facile de comprendre que le manque de contrôle efficace crée une voie facile à l’imposture planifiée quand certaines structures font de plus en plus d’exigences même si les conditions ne sont pas réunies pour les satisfaire. Si la dimension d’autonomie ne permet pas à l’Etat d’intervenir dans les affaires internes des universités non-publiques, il doit en outre assurer un « véritable rôle d’arbitre en matière d’organisation des instances de formation au savoir » (Renaut, 2008). La politique de l’enseignement supérieur se doit d’apporter une réponse à ces questionnements en matière de ressources humaines et ressources matérielles.

La plupart des revendications des associations[22] d’étudiants haïtiens réfléchissant sur la politique universitaire se retrouvent face à un même problème : la participation de l’université haïtienne à la production du savoir scientifique et l’expansion de ce savoir scientifique. Mais les revendications mettent également à l’index un problème qui freine plusieurs dispositifs dans le cadre global de stratégies de développement : la décentralisation. Un accompagnement à distance peut représenter une solution provisoire pour lutter contre le laxisme des acteurs politiques et éducatifs dans les stratégies de décentralisation. Il peut également renforcer ce tout comme le suivi à distance. Une manière d’entériner le leadership nonchalant des acteurs de la politique universitaire qui donnent l’impression de bien vivre la centralisation des universités dans un seul bloc géographique. Dans le contexte haïtien où n’existe aucune forme de validation des acquis de l’expérience, parler du suivi à distance du processus représente une perte de temps. En revanche, travailler sur les conditions d’émergence de ce dispositif suppose une prise en compte de tous les processus en relation avec la validation, en particulier l’accompagnement. S’il faut penser l’accompagnement en présentiel, il s’avère judicieux de prendre en compte l’accompagnement à distance pour plusieurs raisons :

  • l’enseignement supérieur est touché par l’absence de décentralisation et les universités haïtiennes sont pour la plupart[23] concentrées à Port-au-Prince (la capitale) ;
  • les infrastructures absentes mettent une longue distance (plus de 2,5h) entre les villes d’un même département géographique. Il faut considérer le fait aussi qu’à de la mauvaise gestion de la circulation on peut mettre 1h de temps pour parcourir une distance de 10km ;
  • l’accès à la capitale se complique certaines fois à cause des problèmes d’insécurité qui peuvent entraîner la peur voire l’interdiction de traverser certains quartiers y conduisant;

Une question professionnelle retient quand même notre attention dans le cadre de la réflexion du développement de l’accompagnement à distance de la validation des acquis de l’expérience en Haïti :

  • Quelles doivent être les qualités des accompagnateurs ?
  • Comment réfléchir sur l’accompagnement à distance quand l’accompagnement en présentiel n’a pas encore été développé voire jamais?

Les publics touchés par le sous-emploi et les licenciements arbitraires sont d’autant plus concernés par la mise en place de la validation des acquis de l’expérience (VAE) que ceux qui se retrouvent au chômage. En effet, le fait d’être au chômage ne signifie pas pour autant que l’on a acquis des compétences à même d’être validées pour avoir un diplôme ou une certification professionnelle en lien avec les expériences. L’un des axes de la politique universitaire devrait consister en un  rapprochement de l’enseignement supérieur vers ce public soucieux de changer de conditions socio-économiques soit par la mobilité, l’évolution ou la reconnaissance professionnelles. La question la plus importante dans ce discours s’écarte de la politique universitaire et permet de prendre en compte l’importance des acteurs très souvent externes à la politique universitaire, surtout avec son caractère autonome. Il s’agit des différents pouvoirs de l’État. L’implication de l’État dans cette mise en place s’avère très importante à renforcer avec le caractère financier du processus de la VAE. En tenant compte de la faiblesse du pouvoir d’achat et la montée de l’inflation, le recours à l’autofinancement pour atteindre un objectif professionnel personnel constitue un frein non pas à l’institutionnalisation mais à la pérennisation du dispositif VAE. Comment les politiques doivent s’y prendre pour faire de ce dispositif un droit ? Comment éviter que la mise en place de la VAE avec le volet accompagnement ne représente pas un moyen d’avoir des rentrées de fonds au sein des entités de formation continue au lieu d’une aide efficace à ceux évoluant professionnellement dans l’anonymat ? Quel est le statut de la formation continue en Haïti ? Les interrogations sont diverses. Il faudra en tenir compte une par une pour une réflexion équilibrée qui ne laisse pas de côté les aspects les plus pertinents pour mieux permettre de saisir le dispositif de la VAE dans toutes ses dimensions.

[2] Renaut, A. (2008). Quel avenir pour nos universités ? Essai de politique universitaire. Quercy : Timée-Éditions

[3] In Boutinet, J.-P., sous la direction de (2009) et al. L’ABC de la VAE. Toulouse : Édition Érès.

[4] Mias, C., (1998).  L’implication professionnelle dans le travail social. Paris : L’Harmattan

[5] Op.cit.

[6] Durand, M. et Filliettaz, L. (2009). Travail et formation des adultes. Paris : PUF

[7] Décret n°2002-590 du 24 avril 2002

[8] Boutinet, J.-P., op.cit.

[9] Stephen Billett in Durand M. et L. Filliettaz (2009), op.cit. p.45

[10] Mias, C. (1998). Op.cit.

[11] Stephen Billett in Durand M. et L. Filliettaz (2009), op.cit. p.45

[12] In Durand M. et Filliettaz L. (2009). Op. cit. (p. 60)

[13] Paul, M., (2004). L’accompagnement : une posture professionnelle spécifique. Paris : L’Harmattan.

[14] In Boutinet, J.-P. (2009). Op.cit.

[15] Le Bouedec, G., (2001). L’accompagnement en éducation et en formation : un projet impossible ? Paris : L’Harmattan.

[16] H. Boursiquot (Service de formation continue de l’université de Toulouse, 2010) et Flora Tissier (AFPA, Ile-de France,  2007)

[17] Dans un article publié sur le site www.forumhaiti.com ayant pour titre la formation continue en Haïti, Etzer France (Université de Montréal, Québec, Canada)  précise que parmi les 70 000 enseignants de l’enseignement fondamental haïtien 31.85% sont sans formation professionnelle adéquate et sans qualification, 30% ont un niveau académique inférieur à la 9ème année fondamentale

[18] OCDE (2011).  Rapport 2011 sur l’engagement international dans les États fragiles : République d’Haïti. Éditions OCDE

[19] Aucune trace de statistiques officielles sur le nombre d’étudiants que comprennent les universités en Haïti. La lecture de certains projets dans le cadre de la mise en place des infrastructures universitaires permettent d’identifier un effectif visé ne correspond pas exactement aux institutions effectivement en fonction sur le territoire. Les tentatives de quantification à partir de la lecture de ces projets sont vaines.

[20] In Rifkin, J., (2011). Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie. (Trad. de l’anglais par Françoise et Paul Chemla.  Ed. LLL Les Liens qui Libèrent)

[21] Nouvelles technologies de l’information et de la communication

[22] Fédération des Étudiants et Universitaires d’Haïti (FEUH), Grand Front National des Étudiants Haïtiens (GRAFNEH)

[23] Certaines universités du secteur privé comme l’UNDH ont des facultés dans certaines villes de provinces. Mais les études mises en place sont ciblées et concernent les sciences infirmières et les sciences administratives. Peut-on y voir la poursuite d’un but consistant en une baisse de la clientèle des instituts de formation professionnelle qui s’installent un peu partout dans les villes de province en offrant les mêmes formations ?

%d blogueurs aiment cette page :